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Raymond Bellour, Hervé Guibert, articles 1980-1995, Gallimard, coll. l'arbalète, 2021

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De la critique comme compagnonnage 

 

Raymond Bellour, écrivain et critique, connu notamment pour ses travaux sur le cinéma, est un des premiers à avoir découvert le talent d’Hervé Guibert. En effet, il faisait partie du jury lorsqu’un tout jeune homme de dix-huit ans se présenta au concours de l’IDHEC, avec un scénario racontant « une histoire de frère et de sœur, un inceste doux et cruel et incertain, comme il en avait le secret ». Raymond Bellour eut beau défendre les qualités du travail du jeune Guibert, rien n’y fit : ayant rendu copie blanche à une des épreuves, celui qui n’était pas encore écrivain s’était lui-même disqualifié, anéantissant – ou renvoyant à bien plus tard – son rêve de cinéma. 

C’est à ce moment que se noua entre eux un lien, une sorte d’affinité, une reconnaissance mutuelle : Raymond Bellour reconnut le talent de Guibert qui à son tour reconnut en lui quelqu’un capable de le comprendre. Ils ne se trompèrent ni l’un, ni l’autre, comme en témoigne ce recueil d’articles publiés entre 1980 et 1995, et qui est la marque d’« un accompagnement critique » des plus riches et des plus lucides, sur une œuvre qui n’était alors qu’un work in progress.

 

Très rapidement, Raymond Bellour saisit les enjeux du travail guibertien : la manière dont textes et images s’impliquent « de façon terriblement directe ». Il remarque, lors de la parution de L’Image fantôme, la « qualité d’échange entre images et mots [qui] touche à l’extrême ». Mais dès les premiers articles, le critique est surtout sensible à la « vacillation » du « je » qui (se) raconte, à « l’identité fixe [qui] s’efface au profit d’une identité floue et fragmentée qui de l’auteur au narrateur et du narrateur à lui-même entretient un jeu glissant de double ».

 

Ainsi, Raymond Bellour rendra compte de la majeure partie des livres de Guibert, à quelques exceptions près parmi lesquelles, notables, Mes Parents ou Le Mausolée des amants. Il sera tout autant fasciné par ses textes les plus romanesques, Des aveugles ou Vous m’avez fait former des fantômes – qu’il lit comme « une aventure de la langue en même temps qu’une illustration du pouvoir d’imaginer. Ou mieux encore : du pouvoir d’oser imaginer » – que par ses livres autofictionnels qu’il qualifie de « fictions vraies ». Il percera, avec une grande finesse, le jeu vérité / fiction qui innerve le travail de l’écrivain, écrivant à propos de L’Homme au chapeau rouge cette remarque, qui pourrait s’appliquer à l’ensemble de ses livres : « H.G trompe enfin ses lecteurs (qui le savent, le supposent et en jouissent) en ne leur avouant jamais comment et jusqu’à quel degré ils sont manipulés, dans ce balancement poreux entre vie et fiction, qui confère à l’invention les apparences de la vérité autobiographique et documentaire ». Toujours juste, Raymond Bellour aura ainsi participé à la mise en lumière de cette œuvre troublante.

 

Il est heureux que ces textes critiques aient été réunis. Ils constituent un éclairage précieux sur l’ensemble d’une œuvre et sur la manière dont elle s’est construite. C’est assurément là un très bel exemple de compagnonnage littéraire qui est nous est donné à lire.

 

Arnaud Genon, le 23.01.2022 

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