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Claire Legendre

 

Claire Legendre est née en 1979. Elle a passé un an à la Villa Médicis, à  Rome. Elle est l'auteur de Making-of (éditions Hors Commerce), de Viande (Grasset, 1999), du Crépuscule de Barbe-bleue (Grasset, nouvelles, 2001), de Matricule (Grasset, 2003), de La Méthode Stanislavski (Grasset, 2006) ou encore de Vérité et amour (Grasset, 2013). Elle a en outre publié, en collaboration avec Jérôme Bonnetto, Passerelle (Editions Arcane 22, 2004) et le très beau Photobiographies (éditions Hors-commerce, 2007). Depuis 2011, elle est professeur de Création littéraire à l'Université de Montréal.

Elle nous parle ici d'Hervé Guibert, ce « spectre » qui la « toise » et « l'encourage sur le plus haut rayon de sa bibliothèque » quand elle écrit.

Selon-vous, quelle importance l'oeuvre d'Hervé Guibert occupe-t-elle dans le champ littéraire (et photographique) des 30 dernières années ?

Hervé Guibert a peut-être contribué à libérer la littérature contemporaine de certaines inhibitions, non seulement par ses thématiques, mais surtout par le traitement qu'il s'inflige à lui-même, le fait qu'il se crée véritablement, se regarde vivre, évoluer, et même, d'une certaine manière, disparaître. Après la « mort de l'auteur » telle que Barthes l'avait dite, Guibert est peut-être l'un des premiers à s'assumer comme icône, à  assumer le désir d'une auto-mythologie. Cette démarche est tellement assumée, réfléchie, qu'elle n'est jamais ridicule. Au contraire, l'écriture est totalement maîtrisée, réflexive, performative. L'écriture de Guibert semble habiller son personnage en même temps qu'il se dévoile. Guibert n'est pas dupe de sa mythologie, il la façonne consciemment. C'est en cela, il me semble, que sa littérature est le plus subversive.
Sa pratique photographique s'inscrit probablement dans ce même champ, très contemporain, de l'esthétisation de l'intime. Les photographies contribuent à  alimenter cette mythologie personnelle et à  faire de la vie une oeuvre d'art. Elles fonctionnent parfois en dyptique avec les livres, on va y chercher les personnages, les paysages des romans. Elles sont comme des preuves, des attestations, que ce qui est raconté dans les livres a été. Peut-être laissent-elles aussi entrevoir cet écart infime, mais certain, entre la vie et la fiction. Elles prolongent le trouble de l'intimité dévoilée en créant ce « soupçon ».

En quoi la lecture des textes de Guibert, auteur dont vous évoquez la figure dans plusieurs de vos textes («Lectrice posthume» in Le Crépuscule de Barbe-Bleue et La Méthode Stanislavski) a-t-elle une influence sur votre propre travail d'écriture ?

J'ai lu Guibert à  l'adolescence. J'avais alors beaucoup de mal à  différencier mon attirance pour le personnage de mon goût pour l'écriture elle-même. En le lisant, j'ai eu l'impression de fréquenter un écrivain, de le rencontrer, et tout en découvrant comment il vivait, je découvrais son écriture. Il a compté pour moi autant que Duras ou Bataille, à un moment de la vie où on se laisse complètement aller à  l'identification, où on prend peu de distance avec les textes... J'ai eu une lecture abandonnée, complètement sincère. Guibert a été comme un guide, pour découvrir le monde et la littérature. Pour se convaincre, aussi, qu'il était possible d'écrire, de s'écrire, de se mettre en danger, de jouir de cette prise de risque. Quand, plusieurs années après, je me suis retrouvée sur ses traces, à  l'Ile d'Elbe ou à  la Villa Médicis, j'ai éprouvé une sorte de vertige : ses écrits m'avaient menacée là , subrepticement, et j'avais l'impression de poursuivre son fantôme. Guibert a beaucoup écrit sur ses lecteurs, en leur prêtant des comportements futurs, posthumes. Je suis tombée dans tous les pièges. Mais je n'ai jamais cherché à  l'imiter, ce qui était fascinant était aussi son étrangeté, son inaccessibilité.

Guibert déclarait avoir ce qu'il appelait des "frères d'écriture" dont le travail "irradiait [...] comme une transfusion" ses propres textes... Le considérez-vous, à  votre tour, comme "un frère d'écriture" ?

Je dirais plutôt un « professeur de désir ». Il y a quelque chose qui m'est définitivement inaccessible chez Guibert, parce qu'il incarne ce à quoi je n'ai pas accès, en tant que personne et en tant qu'auteur. Il y a une grâce, un mystère, qui me tient à distance. Mon écriture a été nourrie, motivée par la sienne, mais j'entre dans ses livres comme une petite fille ébahie, pas comme une soeur ou une amie. Quand j'écris, il fait partie des spectres qui me toisent et qui m'encouragent, sur le plus haut rayon de ma bibliothèque.

Claire Legendre par mail, le 28 janvier 2008.

Pour retrouver Claire Legendre : http://www.clairelegendre.net/

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