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L'autre mausolée des amants

 

Philippe Mezescaze, Deux garçons, Mercure de France, 2014, 128 pages, 13€80.

 

Philippe, pour fuir la folie de sa mère, arrive à La Rochelle et s’installe chez sa grand-mère. Il a 17 ans. Il doit obtenir son bac, mais ce qu’il désire plus fort que tout, c’est devenir acteur. Il s’inscrit alors à la maison de la culture et intègre la troupe de la Croco. Pour ses cours, il choisit de jouer la scène 14 de l’acte II de Caligula. Il interprètera le rôle du personnage éponyme. Scipion, ce sera un jeune comédien qui vient de rejoindre le groupe. Il s’appelle Hervé. Il va avoir 14 ans.

 

Un jour, ils présentent leur travail, mais ce qu’ils montrent « excède les leçons de théâtre » : « quand nous avons terminé, les spectateurs restent silencieux, interdits, jusqu’à ce que Marie-Claire esquisse un geste agacé et libérateur qui rompt la tension ». Comme le notera, dans Mes parents (1986), Hervé Guibert devenu écrivain, « Un amour véritable s’est conspiré et s’est amplifié dans la scène dont nous ne pouvons plus redire les mots ».

 

 

Leur histoire a commencé. « L’amour d’Hervé prend toute la place » dans la vie de Philippe qui quitte le lycée et s’engage plus encore dans la troupe. Mais leur roman est difficile à écrire car les autres s’interposent, à commencer par les parents du plus jeune des deux garçons. Hervé Guibert notait dans Mes parents que son père et sa mère s’étaient approprié son corps. Ils lutteront – le père particulièrement – pour que Philippe n’en prenne pas possession. Mais les déchirures sont aussi celles que s’imposent les deux adolescents, les rencontres qui les éloignent l’un de l’autre. Les douleurs sont celles issues de « la condamnation des apparences » et que commandent les « conventions de [leur] âge ».

 

Dans ce très beau récit, Philippe n’est pas encore Mezescaze, Hervé n’est pas encore Guibert. Ils sont deux garçons, amoureux, éprouvant leurs désirs, leurs rêves, expérimentant la vie et ses obstacles, leurs propres peurs. Ce livre est celui d’un temps et d’un amour à la fois retrouvés et perdus, d’une innocence reconquise par l’écriture qui raconte justement sa propre disparition. Deux garçons est bien plus qu’une chambre d’écho à Mes parents… C’était sûrement pour l’auteur un de ces livres que l’on dit nécessaires. C’est ce qui lui donne sa force, son authenticité… Et l'on trouve aussi, dans un même geste, une manière de ressusciter une passion et de lui offrir l’ultime mausolée de mots qu’elle méritait.

 

Arnaud Genon

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