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Olivier Steiner

 

Olivier Steiner est l'auteur de Bohème, roman publié chez Gallimard dans la collection Blanche, en 2012 et de La Vie privée (L'Arpenteur, 2014). Il anime un blog (http://www.oliviersteiner.fr/blog/) et collabore à la revue en ligne huffingtonpost.fr (http://www.huffingtonpost.fr/olivier-steiner/)

Selon-vous, quelle importance l'oeuvre d'Hervé Guibert occupe-t-elle dans le champ littéraire (et photographique) des 30 dernières années ?

Quand il m'arrive de parler de Guibert à de jeunes garçons homosexuels rencontrés ça et là, je suis souvent étonné de voir que ça ne leur dit rien. Et d'un coup je prends un coup de vieux. Pour moi Guibert est à la littérature moderne ce que le Tour Eiffel est à Paris, un monument érectile sans comparaison aucune. Sans doute l'oeuvre de Guibert n'occupe pas la place qu'elle mériterait. En même temps elle est dans l'ombre et la lumière, elle est mythique sans être mainstream, l'oeuvre de Guibert est un mausolée, un mausolée pour les amants, et tout mausolée doit garder une part de mystère. L'oeuvre de Guibert m'apparaît comme un mausolée en cela qu'elle est un écrin pour la mort. Et la mort c'est l'indicible, l'impensable. Hervé Guibert n'a toujours écrit qu'autour de la mort et du manque, tout près de l'indicible, depuis le début, en faisant des boucles autour, comme s'il avait toujours su que sa grande affaire à lui c'était elle, la mort, la disparition, la mort des autres et la sienne en devenir. Je crois qu'Hervé Guibert n'était ni morbide ni mortifère mais lucide, extra-lucide, malade de lucidité. On meurt, on va mourir, reste plus qu'à écrire.

En quoi la lecture des textes d'Hervé Guibert a-t-elle une influence dans votre propre travail d'écriture ?

Mes parents, Fou de Vincent, Les Aventures singulières. Ces trois livres ont énormément compté, je les ai lus et relus comme autant de petites bibles, des diamants tragiques. Le style de Guibert est tranchant et baroque, cette alliance a priori contradictoire m'a toujours fasciné. C'est ainsi que j'ai désiré écrire, il fut même une époque où je me disais qu'on ne pouvait écrire que comme ça, dans cette direction. Il m'aura fallu beaucoup de temps pour com-prendre vraiment qu'on ne choisit pas son style, qu'on ne peut rien décider du style, que si l'on commence à décider, on est déjà dans le faux, le faux et l'usage du faux. J'ai tué l'influence de Guibert.

 

Hervé Guibert déclarait avoir ce qu'il appelait des "frères d'écriture" dont le travail "irradiait ... comme une transfusion" ses propres textes... Le considérez-vous, à votre tour, comme "un frère d'écriture" ?

J'ai une photo de Guibert dans ma chambre, une "vraie" photo, un tirage d'époque, un autoportrait en noir et blanc. Je la regarde souvent, il est là. Dans son regard je vois douceur et force, tendresse et cruauté. Quand j'ai des moments de doute ou de découragement, je regarde ce regard bleu de ciel et d'acier et je me dis que tout est encore possible, question de volonté et de désir. Depuis que j'écris je me suis interdit de relire Guibert, je ne me sens pas suffisamment fort pour résister. C'est pareil avec Duras ou Dustan, ils sont plus forts que moi. Guibert, je sais qu'il est là et j'ai un souvenir vivant de sa lecture, un peu comme si nous avions eu une histoire tous les deux, une relation. C'est aussi une transfusion, oui, transfusion de sang contaminé, qui m'irrigue par capillarité. Mais je sais que je dois faire attention. Guibert est aussi un monstre et les monstres par définition ne sont pas gentils. Je ressens vis-à-vis de ce monstre une sorte de fraternité incestuelle. C'est une fraternité qui n'occulte pas la dimension sexuelle. En lisant Guibert, il m'arrive de désirer Hervé Guibert.

Olivier Steiner, par email, le 14 février 2013.

 

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